[Opinion 16.11.2021] La dynamique de cette pandémie, la difficulté à anticiper le futur en raison du comportement non linéaire et de l’imprédictibilité de ce virus ont rendu d’autant plus difficile la communication sur la gestion de la pandémie au sens large ainsi que ses impacts sur la santé, la vie sociale et l’économie. Les difficultés inhérentes à ce contexte ont créé beaucoup de confusion dans l’esprit des gens, déstabilisés par la forte fragilisation des repères habituels sur lesquels ils se basaient pour projeter leur avenir. En 1852, Emile de Girardin disait « Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte », définissant comme une « science nouvelle » le fait d’appliquer le calcul des probabilités et de la notion « d’assurance » à la vie des nations. Mais à l’ère de la COVID, la gestion du risque lié au comportement erratique de ce virus et de ses conséquences, de même que les aspects de gouvernance de la crise, a rendu obsolète l’évaluation objective de la situation sur le court terme. Les projections subjectives de la situation ne sont plus nécessairement suffisantes non plus pour réduire la marge d’incertitude dans les prises de décision (voir l’encadré 1 au bas de l’article). À ce titre il est intéressant de prendre en compte les aspects de non-linéarité, de complexité, d’ambiguïté, d’anxiété, de fragilité et d’incompréhensibilité que l’on trouve dans les modèles VUCA et BANI (voir l’encadré 2 au bas de l’article) .
Appréhender la gestion du risque sous l’angle de l’utilisation du Certificat Covid
De manière pragmatique, par rapport à ce que je suis en mesure de comprendre. Je vais essayer de résumer, sans pour autant garantir que ça soit exhaustif, les différents facteurs de risques liés à l’utilisation du certificat COVID:
Au niveau du risque d’être porteur du virus :
Les tests PCR permettent de définir une fenêtre de risque plus limitée dans le temps (trois jours) et les tests antigéniques, moins fiables, un jour, alors que pour une personne vaccinée cette mesure n’existe pas, malgré que les personnes vaccinées puissent quand même contracter le virus (dans une moindre mesure, avec moins de conséquences).
Au niveau du risque de transmettre le virus:
Dès lors, une personne testée PCR représente un risque très limité de transmission le jour même (mais être testé ne diminue en rien le risque de contracter le virus), mais le risque augmente crescendo les deux jours qui suivent (une personne contaminée devient très contagieuse environ 48 heures avant l’apparition des symptômes et un test PCR détecte l’infection un à deux jours avant l’apparition des symptômes /OFSP).
Cependant, si une personne testée, mais non vaccinée vient à contracter le virus, le facteur de risque sur sa santé et sur celles des personnes qu’elle pourrait contaminer est important (COVIDlong, grave, hospitalisation). Ces risques d’un COVID grave seront beaucoup moins importants pour des personnes vaccinées, qu’une personne non vaccinée aurait infectées (hors comorbidité, immunodéficience).
Une personne testée, mais contaminée (que ça soit par une personne vaccinée ou non vaccinée) deviendrait donc un vecteur fort de la propagation du virus, d’autant plus envers d’autres personnes testées, mais non vaccinées. Alors que dans un cas de figure identique, une personne vaccinée qui contacterait le virus représenterait un risque plus faible de transmission envers des non-vacciné.e.s, avec (semble-t-il – les personnes vaccinées infectées par le variant Delta avaient 63% de probabilités en moins de transmettre le SARS-CoV-2 à des personnes non vaccinées) des conséquences moins sévères, et un risque encore faible de transmission à d’autres vaccinés (90% de risques en moins de l’infecter, selon une étude belge).
Il faut aussi prendre en compte la diffusion aérosol du virus qui implique des différences en fonction du lieu fermé (volume et renouvellement/assainissement de l’air), et, respectivement, de l’impact du nombre de personnes testées par rapport au nombre de personnes vaccinées sur la valeur de la charge virale dans un lieu donné (à ma connaissance, on n’a pas encore beaucoup de données là-dessus, si ce n’est des approches de principe basées sur la mesure de la qualité de l’air par rapport à la teneur en Co2/ppm ?).
Considérations:
Dès lors, tant en termes d’efficacité qu’au niveau du consensus scientifique (par encore fort, me semble-t-il ?), l’approche des 2G fait sens. Néanmoins, en matière de maîtrise des risques, je ne suis pas certain que la valeur ajoutée de cette mesure (2G) soit suffisamment importante. La principale raison se situe au niveau de l’analyse des risques qui sont présents en dehors du spectre du traitement direct du virus (propagation, diffusion, contagiosité, charge).
Le comportement humain est un élément indissociable du respect des mesures sanitaires, et l’application de celle-ci dépend en partie de leur acception par la population. En partie, parce que certaines de ses mesures sont acceptées soit par contrainte (peur de la sanction) ou par le principe de suivre les règles, sans nécessairement en reconnaître pleinement le bien-fondé.
On a pu observer que les tests payants ont eu un impact non négligeable sur le comportement des gens, ça a sans doute poussé des mécontents à vers les mouvances coronasceptiques, alors qu’ils ne l’étaient pas à la base, tout comme ça a renforcé les mouvements concernés. Ça a aussi poussé des personnes à utiliser de faux certificats, et ça, c’est un réel problème pour ce qui concerne la gestion du risque. Ces faux certificats (vaccination ou COVID) dont l’utilisation n’est de loin pas anodine ont non seulement un impact sur la qualité de données collectées sur les contaminations et les modes de propagation (et des décisions issues de l’analyse de ces données), mais aussi sur la gestion du risque en donnant un état des lieux sur le niveau de risque dans un lieu donné, représenté par la réalité du nombre de personnes testées ou vaccinées. Suivant la proportion de personnes utilisant un faux certificat, un lieu peut aisément se transformer en cluster (et le virus trouvera ses hôtes principalement parmi les personnes correctement testées, mais non vaccinées)…
Là aussi, l’approche 2G pourrait potentiellement réduire le risque (partant du principe qu’il y a moins de faux certificats de vaccination, que de faux certificats Covid – un faux certificat de vaccination permettant de générer un « vrai » certificat Covid), mais en raison des facteurs humains et économiques (au point de la vue humain aussi) ce n’est pas si simple.
Selon toute vraisemblance, on va devoir cohabiter avec le virus, tant au niveau de notre santé, qu’au niveau humain, social, et économique… beaucoup de (nouveaux) traitements qui vont – potentiellement – nous permettre d’améliorer nos moyens de lutte contre ce virus se profilent, mais le futur n’est qu’une forme d’hypothèse faite de probabilités que de nombreuses variables peuvent venir altérer (l’apparition d’un nouveau variant qui changerait l’efficacité de traitements basés sur un variant antérieur par exemple).
Il faut donc trouver des compromis qui peuvent non seulement offrir une gestion viable de ce virus, mais aussi permettre de servir de zone tampon propre à mitiger le risque de rupture de confiance sur des décisions – liées à la gestion de cette crise sanitaire – considérées à l’instant « T », comme adéquates par rapport aux données que l’on avait à disposition au moment de la prise de décision, mais qui ne pourraient plus être aussi pertinentes dans le futur en raison de l’imprédictibilité du comportement du virus qui s’adapte plus rapidement à ce qu’on lui oppose, que nous à sa capacité à changer.
On observe que beaucoup de pays, entre autres nordiques, qui étaient revenus à une forme de normalité, ont donné l’impression de faire « marche arrière » en réintroduisant des mesures sanitaires qu’ils avaient précédemment abandonnées (suspendues dans les faits). Il est important de comprendre qu’il ne s’agit justement pas d’un retour en arrière, mais encore et toujours d’un continuum de décisions basées sur une analyse continue du risque. Cette évaluation du risque amène au choix des mesures à prendre, et des outils qui seront le mieux à même d’épauler la stratégie choisie. Réintroduire le passe sanitaire/Certificat covid, ainsi que d’autres gestes barrières tels que le masque, est une manière de ramener le risque à un niveau acceptable dans cette optique de cohabitation avec ce virus. C’est aussi représentatif de l’avancée que l’on a pu avoir dans l’élaboration d’outils qui nous permettent aujourd’hui de ne pas revenir à un confinement strict (semi-confinement pour la Suisse), et ne pas saturer les hôpitaux (du moins pour le moment), malgré l’augmentation exponentielle des cas. Et cette baisse des hospitalisations, des mises sous respirateurs, des décès, on le doit indéniablement aux vaccins, qui sont encore à l’heure actuelle le plus efficace des gestes barrières pour lutter contre ce virus. En une année, on a donc passablement évolué et amélioré notre gestion de la Covid19 et de son impact sur la population. Mais, à nouveau, le présent n’est pas le futur, et l’on a besoin de ces outils pour conserver le plus de possibilités et marge de manœuvre pour combattre le comportement erratique de ce virus, sans pour autant devoir battre en retraite parce que l’on se sera séparé de l’un des outils qui nous permettent cette cohabitation. Le Certificat covid est l’un des outils qui nous permettent d’avoir une évaluation dynamique du risque.
Pour ma part, je n’ai pas l’impression que le 2G soit la mesure à prendre dans l’immédiat, même si en fonction du pourcentage de personnes non vaccinées et de l’augmentation des cas graves et/ou hospitalisation parmi cette population (sans compter les conséquences sur la logistique et l’économie de l’absence de ces personnes à leurs postes), il faudrait sans aucun doute en venir à de telles mesures si on veut – dans ce cas-là – éviter de revenir en arrière et bloquer à nouveau l’ensemble de notre société (pour autant que l’on ait les moyens socialement et économiquement).
Peut-être qu’à un moment on va devoir prendre en compte d’autres facteurs tels que la mesure du niveau potentiel de présence du virus sous une forme aérosol (co2/ppm), combinée à un nombre donné/limité de personnes testées par rapport à celles vaccinées dans un lieu fermé..? Aussi envisager que les tests ne soient plus un problème de coût pour une partie de cette minorité non vaccinée, mais que l’on fixe un prix plancher. L’important étant toujours de réduire le risque au maximum par rapport aux personnes qui en représentent le plus d’être infectées par virus ou de le propager, tout en permettant dans le même temps aux uns et aux de maintenir un lien social acceptable sous l’angle sanitaire…
Le certificat Covid indéniablement fait partie de ces compromis, il sert à aider les autorités sanitaires, les institutions et les acteurs privés, à pouvoir mieux réguler les risques liés à la circulation du virus. Et non à contrôler les individus. C’est le garant fragile d’une forme de liberté pour les personnes qui ont suffisamment d’empathie pour choisir d’accepter de se faire tester ou vacciner plutôt que de prendre le risque de représenter une charge supplémentaire tant au niveau humain, qu’économique, dans une société déjà fragilisée par les impacts de la pandémie. Mais c’est aussi – et surtout – avoir suffisamment d’empathie et de sens des valeurs humaines pour ne pas volontairement et consciemment représenter un danger pour les personnes qu’elles sont amenées à côtoyer.
[Encadré 1]
[Encadré 1]Emmanuel Petit délimite le risque de l’incertitude afin d’au final les faire mieux cohabiter à travers la notion de « probabilité subjective ». Je cite : « La théorie de la décision a fait très tôt une différence, avec Frank Knight (1921), entre la notion de risque et celle d’incertitude. Le risque s’apparenterait ainsi à une situation dans laquelle les évènements futurs (appelés aussi états de la nature) sont connus et probabilisables, comme c’est le cas dans la théorie de l’espérance d’utilité (étude des choix risqués). L’incertitude renverrait à une situation beaucoup plus floue où les évènements futurs ne sont pas connus et probabilisables. Toute l’ingéniosité du statisticien américain Leonard Savage a consisté à supposer que, même dans une situation d’incertitude, un individu a la possibilité de former une probabilité subjective sur l’occurrence (ou non) d’un évènement futur.
C’est par exemple le cas lorsque vous tentez de deviner (ou que vous avez une idée) du temps qu’il fera demain ou dans une semaine…. La prise en compte des probabilités subjectives conduit à réduire considérablement la différence entre le risque et l’incertitude. Le risque fait référence à une situation en présence de probabilités objectives, l’incertitude renvoie à des probabilités subjectives. Le paradoxe d’Ellsberg montre cependant que les individus ne manient pas toujours de façon très rationnelle les probabilités qu’ils perçoivent. » |
[Encadré 2]
VUCA (Volatility (Volatilité), Uncertainty (Incertitude), Complexity (Complexité) et Ambiguity (Ambiguité)). Warren Bennis et Burt Nanus ont défini et utilisé cet acronyme pour décrire ou réfléchir à la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté des conditions et des situations générales. Cette approche de la gestion des situations problématique proposée par VUCA est à mettre en abîme avec celle, récente, élaborée en 2016 par Jamais Cascio de l’IFTF (Institute for the Future), qu’il résume par BANI Brittle (Fragile), Anxious (Anxieux), Nonlinear (Non-linéaire), Incomprehensible (Incompréhensible). J’y vois plus une complémentarité par rapport aux évolutions qu’elle apporte à VUCA, sans pour autant qu’elle doive complétement s’y substituer ou s’y opposer :
[VUCA /wikipédia]
[BANI / Alonso Alvarez]
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Stéphane Koch