Un reportage intéressant mais néanmoins incomplet ou un peu "subjectif" étant donné qu’il n’a pas été fait mention du rapport du Service d’analyse et de prévention (SAP) sur les risques liés à l’activisme, ni que par exemple l’ONG PETA a – au minimum – utilisé par deux fois l’infiltration (contre la société fille de P&G, IAMS et le contre fournisseur de Poulets de KFC). On peut aussi relever que la mise en perspective avec d’autres entreprises du domaine, telles que Kroll ou GEOS (qui sont présentes en Suisse) n’a pas été faite… Il aurait été intéressant aussi aborder la problématique liée à la crédibilité des ONG (ce qui pose aujourd’hui un vrai problème pour leur intervention sur le terrain), et dans certains cas, à leur instrumentalisation (à leur insu généralement)…
Revenons à un des aspects centraux de cette affaire : La collecte de l’information. Chacun des acteurs présent dans ce reportage – l’entreprise, la société d’investigation, l’ONG, le journaliste – aura le même besoin « d’en découvrir plus sur l’autre ». La loi délimitant ce qui est juridiquement possible, tandis que la moralité, elle, défini ce qui est acceptable ; et tous sont enclins à franchir à un moment ou à un autre ces frontières au périmètre incertain. L’acceptation de telles démarches ne répond pas à des critères simples et logiques, elle est soumise au filtre subjectif de la justification de l’action. L’entreprise veut se protéger et anticiper les risques inhérents au contexte du moment. La justification de son action se trouve dans ces images de casseurs qui se revendiquent de la cause alter mondialiste, mais dont personne (les ONG) ne veut assumer la filiation… Pour la société d’investigation, la justification de l’action se fait en fonction de sa propre nécessité économique et s’adapte aux motivations du « client » en fonction du risque juridique acceptable. La typologie de ce type de démarche étant basée sur une segmentation du risque par l’externalisation de celui-ci en fonction du danger lié aux actions entreprises (l’entreprise mandate un prestataire externe – société d’investigation – dont « elle ne connaît pas » spécifiquement les démarches, qui à son tour engage un prestataire externe dont elle ne connaît pas spécifiquement les démarches). De cette manière chacun peut se réfugier derrière une respectabilité et une déontologie de façade… L’ONG, quant à elle se drape dans les revendications d’un monde meilleur et du droit pour tout un chacun d’être informé sur le comportement de ces entreprises qui nous consomment pour la justification de son action.
Les justifications des principaux acteurs sont par la force des choses, un peu biaisées. Dans la réalité les entreprises ont généralement un manque flagrant de transparence, elles ont tendance à confondre leurs actionnaires avec leurs clients, et prendre leurs clients pour des consommateurs – au sens péjoratif du terme. Par exemple, au mois de mai 2008, de l’huile de tournesol en provenance d’Ukraine contenait de l’huile minérale. Le groupe Saipol, numéro un français de la transformation des oléagineux et propriétaire de Lesieur n’a pas fait preuve de transparence sur le cas, ni retiré ses huiles des rayons des grandes surfaces… De même que certaines entreprises du secteur privé vont aller jusqu’à financer une ONG, ou une cause, pour ralentir ou obtenir un avantage concurrentiel sur un de leurs concurrents (c’est le cas dans le domaine de la chimie, dans celui du bois, par rapport aux règles auxquelles sont soumises les entreprises européennes vis-à-vis des entreprises américaines)… Ou encore certaines entreprises peu scrupuleuses vont être active – de manière masquée – au travers de pseudo associations de consommateurs, ou de défense d’une cause ou d’une autre… Pour exemple, la ribambelle de groupes, d’associations, et d’ONG créées par des lobbys du secteur privés ("consumerfreedom.com, activistcash.com, cspiscam.com, animal-scam.com, fishscam.com, obesitymyths.com, physiciansscam.com, petalkillsanimals.com" – sources : www.sourcewatch.org)…
Dans ce contexte il est indispensable que les ONG traitent leurs dossiers de manière plus professionnelle si elles veulent être perçues comme des interlocutrices crédibles.
La réalité de la situation est différente, nombre d’ONG communiquent de manière arbitraire sur les problèmes qu’elles veulent traiter, que cela soit par omission ou par négligence. Il est essentiel de prendre en compte la notion de concurrence si l’on veut traiter les questions liées à un marché. Par exemple, ATTAC traite de la problématique de l’eau en bouteille et incrimine fortement Nestlé. Mais si l’on fait une recherche dans Google Suisse sur ce domaine d’activité (requête : marché mondial de l’eau en bouteille) deux liens avec des pages d’ATTAC Vaud – traitant du sujet – apparaissent dans les cinq premiers résultats. On pourrait dès lors s’attendre à avoir une vision exhaustive de la situation, mais l’on ne peut que constater que celle-ci est partiale : sur chacune de ces pages Nestlé est cité entre 10 et 15 fois, alors que, Danone, son concurrent direct, et numéro 2 du marché de l’eau en bouteille, n’apparaît que deux fois et de manière marginale…
On ne peut pas objectivement remettre en cause le bien-fondé du travail des ONG ; tout comme l’on peut souligner que des organisations telles que Greenpeace ou le WWF ne cautionnent pas les démarches de PETA, ni celles de l’ALF ; mais il est évident que la plupart des ONG ne connaissent pas vraiment les personnes qui leur sont affiliées et encore moins leurs motivations profondes.
Les éléments mentionnés dans le texte ci-dessus démontrent que problème est bien plus complexe que ne l’a montré le reportage de Temps Présent. Bien que ma perception puisse aussi être sujette au filtre de la subjectivité, il me semble que le propos de l’émission mettait au même niveau « la notion de scoop » (bien faire comprendre au téléspectateur que cela avait été un travail difficile et long) que le sujet du « scoop ». De plus, certains présupposés ou utilisation du conditionnel avaient des relents de sensationnalisme. Le fait de créer un lien entre la démarche de Nestlé et le fait que beaucoup de syndicalistes meurent en Colombie est discutable. Des études en psychologie, ont démontré que de telles formulations créaient un biais médiatique, et qu’au niveau du récepteur (téléspectateur) le conditionnel se transformait en fait avéré. J’aurais préféré que ce sujet soit abordé de manière plus substantielle – moins de polémique, plus d’information – tout comme j’aurais aimé avoir eu plus d’information sur le traitement et la validation de la source, ainsi que sur les informations auxquelles la personne infiltrée a réellement eu accès, et non à ce qu’elle aurait pu faire « si »… J’aurais aussi aimé que l’on nous parle un peu plus de ce livre écrit par le collectif d’ATTAC Vaud ; savoir quelle était la nature de la contribution de l’agente de Sécuritas ? Si des pressions avaient été exercées lors de sa parution.. ? Mais il est vrai qu’il est plus facile de laisser l’imaginaire du téléspectateur remplir ces vides…
À la décharge de Temps Présent, je dirais que mes vœux ne sont pas forcément représentatifs des attentes de la plupart des téléspectateurs. Ceux-ci préfèrent sûrement un reportage sexy et spectaculaire plutôt que d’avoir à réfléchir sur la complexité d’une situation. Et sur ce point le reportage de Temps Présent a rempli son rôle, tout comme il a aussi permis à ATTAC de s’exprimer et d’agir par rapport à une situation dont l’ONG n’était pas au courant. …Elle a aussi permis à certains politiciens de mieux être en phase avec les réalités du tissu économique de notre société …