CYBERPOLICE La riposte se prépare mais se heurte à des problèmes juridiques. STÉPHANE KOCH – La Tribune de Genève, 11.10.1999 Mai 1997, au cours d’une opération, la police colombienne découvre dans un entrepôt un centre de télécommunication ultrasophistiqué d’une valeur de 12 millions de francs. Liaisons Satellite, encodeurs, GPS et autres équipements à la pointe de la technologie servaient aux narcotrafiquants à gérer l’ensemble de leurs flottes acheminant les drogues. S’il a y quelques années encore, on estimait que seuls 10% des criminels avaient la capacité de se servir de l’instrument informatique, une étude du law enforcement bulletin, publiée en août 1996, estime que cette proportion grimpera à 90% d’ici à la fin de l’an 2000! Les organisations criminelles fonctionnent comme des entreprises du domaine privé. Elles appliquent à la lettre les lois du capitalisme sauvage, profitant à tout moment des derniers développements offerts par nos industries. «Mobilité», ce terme en vogue parmi les sociétés Hi-tech, est aussi devenu le nouveau mot d’ordre des organisations mafieuses. Elles se scindent en petits groupuscules autonomes et rentrent en contact via Internet. Cette tendance ressort d’ailleurs dans le dernier rapport de la Police fédérale sur le crime organisé: «Les organisations criminelles sont dépourvues de structures rigides. Elles fonctionnent en réseaux de relations, lesquels se caractérisent par une grande souplesse et une bonne faculté d’adaptation». Certains trafiquants de drogue vont même jusqu’à se reconvertir dans les nouvelles technologies, abandonnant leurs activités liées aux stupéfiants pour se réorienter dans le vol et la revente des puces de silicium, le trafic de microprocesseurs étant plus lucratif et nettement mois risqué. Prise de conscience Les gouvernements quant à eux semblent quelque peu dépassés. Lourdeurs administratives, lenteurs et guerres de couloirs handicapent le processus décisionnel et influencent directement le bon fonctionnement et l’efficacité des différentes forces de police. C’est pour pallier cette déficience que celles-ci ont décidé de créer des organes de contrôle afin de lutter contre l’explosion de la criminalité sur la toile et pouvoir agir au-delà des frontières nationales. La prise de conscience s’est faite en mai 1996, après qu’un rapport du US General Accounting Office a révélé que le Département américain pour la protection des systèmes informatiques avait fait l’objet de 250 000 attaques durant le courant de l’année précédente. A la suite de son sommet des pays industrialisés, le G8 décida de définir les principales lignes de conduite pour combattre ce nouveau type de criminalité. En 1997, la France crée sa première cellule Internet – reflet de la tendance à la globalisation. Dans la foulée, la Grande-Bretagne sous l’impulsion du National Criminal Intelligence Service, l’Allemagne, Taiwan et le Japon, mettent en oeuvre des moyens pour lutter contre les cybercrimes. Un système mondial Comme à l’accoutumée, les Etats-Unis se montrent les plus virulents. Déjà pionniers en la matière, ils sont en train de développer un arsenal technico-juridique impressionnant. Sous l’impulsion du vice-président Al Gore, la décision a été prise de créer «un système mondial de renseignements pour lutter contre la criminalité». Le principe serait de relier toutes les bases de données d’informations policières et ainsi de pouvoir travailler sur des dossiers et partager, en temps réel, entre les différentes polices, l’information qui s’y réfère. Swisspolice.ch Mais ce type de projet se heurte, au niveau de la coopération policière, à des problèmes d’ordre légal. Aujourd’hui, pour pouvoir collaborer avec une police étrangère, il faut faire une requête d’entraide judiciaire -processus laborieux qui tend à ralentir le bon déroulement d’une enquête à l’heure ou les mouvements de capitaux ne prennent que quelques secondes. Si l’on prend pour exemple la situation de la Suisse, la police est subdivisée en structures cantonales qui comportent autant de bases de données qu’il y a de cantons. Seules quelques initiatives démontrent une certaine conscience du problème. En septembre dernier, à la demande de la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse, swisspolice.ch voit le jour. Il s’agit d’une plate-forme de recherche qui sert d’interface entre les divers services de police helvétiques et la population. Géré par l’Office fédéral de la police, ce site comporte aussi un lien avec le site d’Interpol. D’autres outils se profilent, tels l’utilisation des sources ouvertes d’informations pour étudier le comportement de certains groupes à risques ou encore la création d’une base de données qui contiendrait les profils ADN des criminels. On pourra citer aussi la création d’un Intranet qui relie toutes les polices de Suisse, mais auquel ne peuvent accéder que les cadres de celles-ci, ce qui représente environ 110 personnes au niveau national. Le problème qui freine l’implémentation de ce type de moyens en Suisse va chercher son fondement dans les erreurs commises par le passé. A l’unanimité, les divers représentants des services de police pensent que le traumatisme causé par les «fiches» fait encore beaucoup de tort à la lutte contre le crime organisé. © Tous droits réservés 1999-2003 – Stéphane Koch |